À 59 ans, le D Martin Godbout n’avait pas besoin d’envoyer deux cuillères à thé de son sang jusqu’en Californie pour savoir qu’il a les yeux clairs et quelques cheveux en moins.
Mais en devenant l’un des premiers Québécois à faire séquencer intégralement son génome – avec un confrère, une consœur et un ami –, le scientifique a reçu quelques révélations cruciales.
Enregistré sur une clé USB, le portrait de ses gènes lui révèle entre autres si 35 médicaments sont dangereux ou inutiles pour lui.
« Le séquençage, ce n’est pas une boule de cristal. Mais comme l’ordinateur et l’iPhone, c’est une technologie de rupture qui va radicalement changer le monde ! », prédit le fondateur de Génome Canada, qui préside maintenant le conseil d’administration de Génome Québec.
Depuis son expérience avec le géant américain du séquençage Illumina (qui exige une ordonnance d’un médecin), il sait que son organisme éliminerait 10 fois plus vite que la normale le Coumadin, un anticoagulant populaire. Sa consœur Catalina Lopez-Correa, au contraire, l’éliminerait 10 fois plus lentement.
« À la dose habituelle, je ferais sans doute un caillot sanguin, et elle, une hémorragie, résume le résidant de Québec. Dans les deux cas, on pourrait mourir. »
— Le D Martin Godbout
« Quelques milliers de dollars pour apprendre une information pareille, je trouve que ce n’est pas cher payé ! », ajoute le D Godbout.
Si deux personnes peuvent réagir aussi différemment au même médicament, c’est parce qu’elles ne produisent pas la même quantité d’enzyme requise pour le dégrader – une quantité déterminée par leurs gènes. Si la quantité est excessive, l’enzyme fait disparaître trop vite le remède, qui n’a pas le temps de faire son œuvre. Si elle est insuffisante, le remède reste piégé et s’accumule, parfois jusqu’à la surdose.
Le phénomène touche tous les patients. Seuls les médicaments en cause changent d’une personne à l’autre.
« Il faudrait enregistrer ces informations sur la carte d’assurance maladie. Dans cinq ou dix ans, le séquençage devrait devenir universel et aussi banal qu’une prise de sang. Ça sauverait des vies. »
— Le D Martin Godbout
En Thaïlande, les patients d’un hôpital de Bangkok se promènent déjà avec une petite carte de plastique rose vif dans leur porte-monnaie, explique la D Lopez-Correa, qui vient de quitter Génome Québec pour Genome BC. L’établissement la remet aux malades qui ont une certaine mutation, maintenant dépistée de façon routinière. Avant, la prise de pilules banales détruisait leur peau au point de leur donner l’apparence de grands brûlés.
Grâce aux progrès technologiques et informatiques, faire séquencer intégralement son génome devient sans cesse plus abordable.
En 2006, l’exercice coûtait encore 10 millions par personne. Cette année, Illumina exige 2900 $US et procède en prime à l’analyse des résultats, transmis lors de séminaires par des sommités du domaine.
En six ans, 770 personnes – dont 31 Canadiens – lui ont demandé le portrait détaillé de leur génome. Comme Martin Godbout, elles ont appris de quels médicaments se méfier. On les a par ailleurs renseignées au sujet de 1700 gènes qui les rendent plus – ou moins – susceptibles que la moyenne de souffrir de 1200 troubles médicaux.
« Au sujet des maladies, on a été un peu déçus », confie toutefois la professeure de McGill et éthicienne Bartha Maria Knoppers, qui a conseillé le groupe du D Godbout.
En effet, les interactions des gènes entre eux, avec le reste de l’ADN et avec l’environnement restent bien trop mystérieuses pour qu’on sache si le risque se concrétisera chez une personne donnée, explique le directeur du Regroupement en soins de santé personnalisés au Québec, Daniel Bouthillier, qui était de l’aventure.
« On n’a pas séquencé assez de génomes pour offrir une interprétation médicalement reconnue. »
— Le D Martin Godbout
« Il faudra comparer ceux de millions de personnes et faire des recoupements avec des dossiers médicaux pour donner un sens à tout ça », ajoute Martin Godbout.
Les Américains se sont quand même donné une liste – controversée – de mutations « pathogènes » sur 56 gènes, qui sont fortement susceptibles de causer des maladies (cancers, troubles cardiaques, etc.). C’est l’une de ces mutations qui a poussé l’actrice Angelina Jolie à subir une double mastectomi en 2013e et l’ablation des ovaires en 2015.
Aux États-Unis, les laboratoires de séquençage sont pressés de rechercher ces mutations, car on estime « hautement possible » d’intervenir afin de diminuer les risques.
Chez 2,5 % des clients d’Illumina, on détecte de telles mutations pathogènes ou probablement pathogènes, nous a révélé l’entreprise.
Que feront les médecins québécois s’ils reçoivent soudain des fichiers Excel faisant 185 millions de lignes, comme celui qu’a en main Martin Godbout ? « Il ne faudra pas les submerger, reconnaît le scientifique. Quand ils ouvrent leur portable, ils ont 15 minutes pour arriver à un diagnostic, pas deux heures pour analyser le génome. Il faut créer des logiciels pour traiter ces quadrilliards de données. »
Avant 2002, les facultés de médecine n’enseignaient même pas la génétique à leurs étudiants. Depuis, elles offrent quelques dizaines d’heures tout au plus. Or, même la pharmacogénomique, qui concerne seulement les médicaments, est complexe. Car il ne suffit pas de regarder certains gènes pour ajuster la posologie. Le poids, l’âge, le sexe, l’alimentation et les autres médicaments pris par le patient jouent aussi un rôle. « On ne demandera pas à tous les médecins d’être experts. Comme en radiologie, ils devraient pouvoir commander des rapports », affirme Catalina Lopez-Correa.
Autre enjeu : la responsabilité professionnelle. À quoi s’attendra-t-on, comme suivi, si un test révèle qu’un patient risque, peut-être, de voir une tumeur apparaître un jour ?
« Est-ce pertinent de recevoir de l’information dont on ne peut pas se servir ? interroge le D Yves Robert, secrétaire au Collège des médecins. Le séquençage révolutionnera notre pratique, mais ce qui est utile reste encore marginal par rapport à la somme d’informations générée. »
Qu’ils le veuillent ou non, les médecins sont déjà bousculés. Car l’étiquette de 68 médicaments précise déjà qu’il faut ajuster la posologie selon le profil génétique du malade. Et Santé Canada rend obligatoires des tests dits « compagnons » avant de prescrire 33 d’entre eux.
Cette approche, d’abord adoptée en oncologie, se répand. Lorsqu’un patient souffre de dépression récalcitrante, changer sa médication en se basant sur son profil génétique, plutôt qu’à tâtons, double ses chances de guérir enfin, révèle une étude américaine.
Depuis deux ans, le quart des nouveaux médicaments approuvés par la Food and Drug Administration l’ont ainsi été pour des sous-groupes de patients possédant des profils génétiques précis.
L’espoir : éviter des milliers de morts et des millions de traitements invalidants ou inutiles. « Les médicaments sont la quatrième cause de mortalité. On doit en identifier l’origine pour éviter des souffrances et éviter le gaspillage », résume l’éthicienne Bartha Maria Knoppers.
« Il faut mieux cibler. La survie de notre système de santé universel en dépend. »
(1) Collège américain de génétique et de génomique
(2) Pharmacogenomics Knowledge Base
(3) Discovery Medicine, 2013